Le 15 mars: c'était le soixante-quatorzième jour de l'année 1948. Accessoirement, c'était aussi celui où j'avais choisie de naître.
Lorsqu'on cherche dans les archives, on ne trouve quasiment rien à propos de cette date. Je suis donc née un jour, où il ne s'est strictement rien passé. Je devais avoir huit ans lorsque j'ai compris cela... et je me suis instantanément dit que de ce fait, j'avais le choix entre : passer une vie à l'image de ma naissance où il ne se passerait rien, ou complètement changer la donne.
Ouai! Lorsqu'on est gamin...on donne l'impression d'être constamment défoncé au LSD.

« All the leaves are brown, all the leaves are brown , and the sky is grey, and the sky is grey, Ive been for a walk...»

De quoi vous mettre de bonne humeur dès le matin, malgré les coups qui tambourinent à la porte. Je jette un dernier petit regard dans le miroir, me lance un petit sourire avant de me décider à sortir de la salle d'eau.
- Ah bah c'est pas trop...DIEU DU CIEL, MAIS QU'AS-TU FAIT?
-Chérie??? Je t'ai entendu crier, qu'est ce qui...Oh!
-Waah...c'est...c'est...Bon, il y a quoi à manger?
Ce matin encore, ça va être animé à la maison. Oh, ce n'est pas si problématique...au bout de dix-sept ans de vie commune avec le reste de la tribut, on finit par s'y habituer. Les réactions de chacun ne sont plus un secret pour personne.
Par exemple, je savais que maman en ferrait des tonnes, que papa serait « modérément » surpris et que Jérémiah ne perdrait pas de vue ses propres priorités. Noah et Marshall, eux, auraient surement été complètement hilares....Et là, maintenant, ça va débattre pendant plusieurs minutes autour de moi.
Seule Rosa reste un peu à l'écart sans dire un mot. Elle me regarde amusée avant de me lancer un clin d'œil complice. Je lui répond alors par un sourire avant de la voir disparaître dans les escaliers...
- Lily-Beth Imogen Kemp, est ce que tu m'écoutes??
-Oui maman, je t'écoutes...
-Tu...
-Bon, de toute façon c'est fait, c'est fait...allez. Allons prendre le petit déjeuner.
Nous sommes en septembre 1965. Le combien? Je ne sais pas, il faudrait que je pense à regarder sur un calendrier. Mais de toute façon, ça n'a pas d'importance: Aujourd'hui non plus, il ne se passe rien.
Enfin si, il y a quand même quelque chose: Aujourd'hui, je rentre en dernière année de lycée. Alors nous regarder nous apprêter ce matin, devait être la séquence émotion de maman. Et en moins de cinq minutes, sans même faire exprès, j'ai foutu tous ses plans de larmes et de nostalgie à l'eau! A la place, on va plutôt l'entendre rouspéter pour le restant de la journée. Tant pis. Ça va lui passer. Tout finit toujours par passer. J'affiche un petit sourire à cette remarque, m'étire longuement et me décide enfin à les rejoindre en bas.

Tout le monde commence à s'habituer à ce genre de scène par ici. On pourrait presque dire que c'est notre routine si maman ne réagissait pas comme si c'était la fin du monde à chaque fois. C'est souvent le même schéma d'ailleurs: Surprise, colère, souvent cries et parfois pleurs. Et à ces moments là, je dois faire des efforts monstres pour ne pas éclater de rire par simple réflexe.
C'est ignoble je sais, mais je ne peux pas m'empêcher de trouver la situation drôle. Pourquoi? Parce qu'elle est tellement exagérée qu'on se croirait dans un mauvais film d'Ed Wood.
C'est pas tant que j'aime faire des misères à ma mère...c'est juste qu'elle, ne conçoit pas ma façon d'être et que moi, de mon côté, je me refuse d'être comme elle le désire. C'est aussi simple que ça... mais tant qu'elle continuera de penser que nous sommes en guerre l'une contre l'autre, elle continuera de hurler, et moi je continuerais de rigoler. Et la connaissant, ça risque de durer looongtemps.
On a une devise dans la famille: « Ne jamais baisser les armes ». C'est elle qui l'a instaurée!
Elle est intimement convaincue qu'on peut tout faire avec de la volonté et elle clame à qui veut bien l'entendre qu'elle, a toujours obtenu ce qu'elle souhaitait. Et lorsqu'elle est dans ses beaux jours, elle agrémente même avec l'exemple de notre naissance à Rosa-Lee et moi...et avec un peu de chance, nous, on se débrouille pour disparaître à chaque fois qu'elle raconte cette histoire.
Pour n'importe qui, il s'agirait tout bêtement de la conséquence des rencontres hasardeux de deux spermatozoïde avec une ovule, mais elle, continue de croire que c'est parce qu'elle l'a souhaité très forts que le ciel l'a récompensée en lui envoyant deux filles pour le prix d'une, après n'avoir eu que des garçons. D'où également, le fait qu'elle se soit éclatée sur le choix des prénoms.
Seulement aujourd'hui, l'une d'entre elle est un parfait échec: et c'est moi. On le mot « échec » n'est pas particulièrement péjoratif hein? Dans le dictionnaire, ils disent qu'il s'agit d'une situation qui résulte d'une action n'ayant pas abouti au résultat escompté. Alors je ne mentirais pas en disant que de mon côté, ça me rend plutôt fière. Je suis heureuse d'être ce que je suis, c' est essentiel non?


- Lily-Beth, tu viens ou tu prends racine dans les escaliers??
-J'aaaarriiiive...Je lance sans pour autant me presser alors que je sors à peine de ma rêverie
-Chérie, essaye de te calmer...
- Me calmer?? Richard, tu as vu aussi bien que moi c'est qu'elle a fait non?
-Eh bien...que veux-tu que je te dise? C'est de son âge non ?
-Richard!!!
-Hmm oui, hmm...je vais sortir la poubelle tiens!
A peine j'arrive devant la cuisine que je me retrouve face à papa qui semble peiner à porter le sac poubelle. Mon regarde se porte instantanément sur sa jambe gauche, sa patte folle comme il le dit...mais il semble intercepter le mouvement de mes yeux et détourne mon attention en ébourrifant mes cheveux.
-Moi je te trouve très bien comme ça, mais évite de le dire à ta mère okay?Il me lace un sourire joviale et sans que je n'ai le temps de répondre quoi que ce soit, s'en va en claudiquant vers la porte.
Si mon moral avait été ne serait-ce qu'à un moment bas depuis le début de la matinée, il est rebousté à 100%. Papa ne parle pas beaucoup, mais quand il le fait, il trouve exactement les mots qu'il faut. Au fil des années, il a finit par acquérir une sagesse propre à ceux qui en ont vue beaucoup trop pour leur propre bien. Du coup maintenant, il essaye de voir le côté positif de chaque situation et d'en tirer le maximum. Il est d'accord avec tout le monde du moment qu'il trouve toujours un angle avantageux. C'est sa manière à lui d'assurer son rôle de chef de famille parce qu'en vérité, ce n'est pas vraiment lui qui porte la culotte à la maison. C'est lui qui rapporte l'argent certes...mais à cause de son handicap, il y a des choses qu'il ne pourra plus jamais faire. Alors c'est maman qui le remplace dans certains rôles qu'elle dirige d'une main de fer; d'où son caractère de gardien de prison. Cette situation ne dérange pas trop papa...du moins, je ne pense pas. Il ne se plaint jamais d'un autre côté . Tant qu'il a son paquet de Marlboro et son journal sous les yeux, il est content. Profiter des plaisirs simples de la vie, il n'y a que ça de vrai! Il aurait pu être un véritable flower child si il n'avait pas été aussi vieux physiquement que moralement. Malgré tout, il reste attaché au conformisme de sa vie et continue de faire semblant d'être attaché à ces vielles valeurs américaines. Je dis bien « faire semblant » parce qu'au final, c'est le seul qui ai réellement semblé me comprendre quand j'ai annoncé que je n'adresserais plus la parole à Marshall tant qu'il continuera à tuer des innocents au Vietnam.

Je soupire un peu et une terrible envie de fuir ma famille me tiraille soudainement le ventre. Je préfère ne pas trop les croiser aujourd'hui et commence à tourner les talons quand la voix de ma mère m'intercepte !
- Tu penses aller où comme ça?? Allez, viens manger avant que tu ne sois en retard pour ton premier jour!
...J'ai toujours été en retard depuis que je suis entrée au lycée...j'vois pas en quoi le premier jours doit différencier. Enfin bon, je préfère ne pas trop discuter ce matin et je m'exécute. Je m'assois à table et à peine ais-je le temps de faire le moindre geste que je peux l'entendre distinctement lancer en murmurant:
-J'ai toujours su que c'était une mauvaise idée de déménager à Los Angeles!
Je relève la tête dans un actre totalement synchrone avec Rosa et Jeremiah...et tous les trois, on se met à glousser comme des idiots. Los Angels, c'était son idée à elle; Tout le monde à la maison aurait préféré New York! Elle, le glamour, les strass et les paillettes de la Californie, ça la faisait rêver. Elle s'attendait surement à ce qu'on ai tous une éducation digne d'un bon soap opera...pas que je me retrouve embarqué lors d'une manifestation de hippie et que du jours au lendemain je me mette à fumer de l'herbe sous du Janis Joplin.
Je ne penses pas que le problème vienne vraiment de L.A. Si je suis comme ça aujourd'hui, c'est que je devais le devenir à un moment où un autre. Ça n'aurait pas changé, quand bien même on serait allé dans une autre ville ou rester à Seattle...quoi que non, on ne pouvait vraiment plus rester à Seattle. Je crois qu'aucun d'entre nous arrivait encore à y trouver sa place...partir était vraiment le meilleur moyen de passer à autre chose.
Parce que c'est pas très difficile de s'en rendre compte mais Seattle, c'était vraiment un monde à part. Que tu sois noir, blanc, jaune, rouge...ou bien même que tu vienne de Mars, on s'en foutait. C'était nos voisins, nos collègues, parfois nos amis...Alors lorsqu'on nous a renvoyé Noah dans une caisse en bois, on s'est vraiment rendu compte que plus rien ne serait comme avant. On pouvait pas continuer de faire comme si de rien était alors que tout le monde autour de nous était contre cette guerre et que Marshall y était encore. Alors un jour, on a fuit comme des voleurs. Et moi, j'y ai laissé mes rêves de gamines pour d'autres qui sont aujourd'hui beaucoup plus... psychédéliques, dirons-nous.

- Tu as pensé à ce que les autres vont dire au lycée?? Je pense franchement que c'était une mauvaise idée!
Maman me regarde avec un air désapprobateur. J'en viens même à me demander si ça va vraiment lui passer un jour. C'est bon...Ce ne sont que des cheveux après-tout !
-Audrey avait la même![/b][i]Je lance comme si c'était une évidence.
-Qui ça ???
-Elle parle de Audrey Hepburn dans vacance romaine. Elle avait les cheveux courts aussi! Répond Rosa à ma place avec son flegme habituel.
- Oh...je vois...Ne me dis pas que tu espères encore devenir actrice?
-Non ça c'était avant...maintenant je veux devenir guide spirituel!
-Pardon??
-Elle plaisante maman...
Qu'à moitié. Mais bon, ça n'a pas l'air de l'amuser plus que ça. A en voir sa tête, elle a l'air totalement épuisé...il n'est que huit heure du matin pourtant. Elle n'a pas encore comprit que la journée risque d'être trèèès longue. Sourit maman, sourit...on est à Los Angeles après-tout !

« Ive been for a walk, Ive been for a walk, on a winters day, on a winters day, Id be safe and warm, Id be safe and warm, if I was in L.A, if I was in L.A....California dreamin'...»